'Cause one way or another We always make it you and me.
17h56 , et pour la quatrième fois au moins dans la même minute tu regardais désespérément, discrètement, l'écran de ton téléphone portable, sans cacher ton impatience pour autant, tapotant nerveusement du bout des doigts le coin de la table, te repositionnant sur ta chaise toutes les secondes, provoquant des regards agacés et des soupirs exagérés de la part de ceux qui essayaient encore d'écouter. Ce n'était même pas que tu n'aimais pas les cours en soi, même si l'esthétique n'avait jamais été ton premier choix, même s'il y avait définitivement plus intéressant comme sujet à étudier que la régénération cellulaire de la peau, tu étais juste impatient de rentrer chez toi, de rentrer chez vous, de le retrouver lui, Yuri. Alors, dés que la sonnerie avait retenti tu n'avais même pas laissé le temps au professeur de terminer sa phrase, même pas laissé le temps à tes amis de te saluer, tu avais simplement attrapé ton sac et foncé vers la sortie, presque en courant, bousculant les gens sur ton passage.
L'espace d'un instant tu as hésité à aller acheter des bonbons, des snacks pour ton copain, pas certain qu'il ait fait les courses dans la journée, mais en te rappelant que tout le monde te connaissait dans cette ville, ou du moins connaissait ta sœur et l'histoire de ta conception, tu as vite renoncé à cette idée, tu n'avais pas la moindre envie que tes parents soient mis au courant que tu achetais de la nourriture qui n'était pas autorisée, pas la moindre envie d'être questionné, pas la moindre envie de te faire frapper, tu préférais rentrer, les regards sur toi à chaque fois que tu sortais étaient déjà amplement suffisants pour ne pas avoir envie d'en rajouter. Tu détestais ça, cette curiosité, cette envie de t'approcher ou de t'observer de loin, comme un animal dans un zoo, tu ne savais pas ce qu'ils voyaient exactement, s'ils voulaient voir l'enfant-médicament, la manipulation génétique du coin de plus près ou s'ils voulaient juste vérifier si tu étais vraiment psychotique comme tes parents le disaient, mais les regards, le monde extérieur, avaient une forte tendance à te faire angoisser, à te mettre mal à l'aise et à te renvoyer en plein visage des éléments de ta vie que tu préférais ignorer, auxquels tu préférais ne pas penser tant qu'aucune solution ne se présentait, alors tu as juste baissé la tête, rabattu ta capuche sur ton visage te perdant dans la contemplation du bout de tes chaussures durant les quelques mètres qui te séparaient de l'immeuble, de l'ascenseur, puis de l'appartement, dont tu ouvrais enfin la porte, avec soulagement.
« Yuri ? »
Tu l'appelais pour la forme plus que par réel questionnement, tu te doutais qu'il était très probablement au même endroit que d'habitude, installé à la table, un livre dans les mains et ses lunettes sur le nez, en trois mois de cohabitation, une routine, des réflexes s'étaient déjà installés. Le retrouvant comme prévu à l'endroit habituel, tu te calas entre ses jambes, passant tes bras autour de son cou, respirant son odeur, profitant de cette impression que tu avais, et dont tu avais toujours été privé, celle d'être à la maison et d'être aimé.
« Tu m'as manqué, raconte moi ta journée »
Immense sourire sur le visage, bonheur qui se lisait sur chacun de tes traits, air enfantin que tu avais de plus en plus souvent ces derniers temps, tu n'aurais pas pensé un jour pouvoir être aussi heureux avec quelqu'un, tu n'aurais jamais pensé pouvoir te sentir aussi bien, aussi compris, et complété, tu savais ce que tu risquais si jamais ta relation s'ébruitait, tu te rappelais les coups lorsque tu avais évoqué l'homosexualité la première fois, tu te rappelais aussi leurs discussions le soir, leur intolérance, tu savais à quoi tu t'exposais, à la violence, à la cruauté mais parfois quand tu le regardais, tu te disais que c'était un prix que tu pourrais être prêt à payer.
'Cause one way or another We always make it you and me.
Les cours, la fatigue, partiels sur le dos, les yeux dans le vide, toujours. Souvent seul dans la journée, le matin tu es toujours réveillé par des baisers, un petit déjeuner au lit amour auquel tu ne t’habitueras jamais, bonheur qui gonfle encore et encore dans ta poitrine, qui brûle délicatement comme une bougie parfumée à l’intérieur de ton ventre. T’étais ce gosse, crétin indolent qui lançait des œufs sur cette putain de maison que tu détestais, ce gosse qui lançait un peu tout et n’importe quoi en fait, tu pensais pas, pensais pas qu’entre ces quatre murs il y aurait une âme aussi pure, aussi frêle, une âme qui n’attendait qu’une chose c’est de se faire aimer. Toi t’étais qu’un gamin, t’aimait pas, t’aimait pas ces gens, ces gens qui utilisaient un être humain comme médicament, être humain qui n’avait pas le droit de choisir, qui n’avait pas le droit de réfléchir, de penser, parce que pour eux ce n’était qu’un pantin. Gosse révolté, parce que tes pères en parlaient, parce que tu trouvais ça inhumain, ces gens trouvaient que tes pères étaient des abominations de la nature, alors que les seules enflures c’était eux. Et tu ne t’y attendais pas, tu ne t’attendais pas à tomber sur ce gars, celui-là qui t’avait aidé plusieurs fois à ranger le pub quand tu faisais la fermeture, ce gars qui était là, souriait un peu trop, qui te regardait un peu trop, ce gars qui t’a embrassé, fermement, amoureusement, déchaînement d’amour et de sensation, baiser sous la pluie, baiser apaisant, baiser tellement pur que ton cœur s’était emballé. Tu te souviens des mots d’amour, de ses mains sur tes joues, tu te souviens des sensations, tu te souviens quand tu l’as fait monter dans ton appartement, t’endormant dans ses bras devant un film totalement idiot que tu ne regardais même pas, il n’y avait que lui, seulement lui. Tu te souviens de ta demande, tu voulais qu’il vienne vivre dans ton appartement, avec toi, tu voulais te réveiller à ses côtés, tu voulais le voir tous les matins, tu voulais être dans ses bras, cuisiné avec lui, dormir tout contre lui. Parce que Kesiah c’est un rayon de soleil, Kesiah c’est un élément inconnu, mélange de terre et d’eau alors que tu n’étais que feu. Parce que Kesiah c’est la chose qui te calme, t’apaise, te libère, cet homme est un sourire, une odeur un goût, c’est la douceur contre tes lèvres c’est la douceur contre ta peau, les marques sur ton épiderme un peu trop sensible. Parce que ce garçon il est toutes les étoiles du ciel, il est ta vie, il est devenu ta vie, tout simplement. Tu l’aimes, tu l’aimes tellement, tu pourrais tout faire pour lui, tout dire, tu caches que tu l’aimes, tu caches ton homosexualité, tu caches le fait que tu voudrais, le dire à tout le monde, l’avoué, enfin, parce que t’es fier, parce que tu veux lui plaire, parce que tu l’aimes et que tu l’aimeras toujours et putain tu le sais. Tes jambes qui s’agitent dans le vide, tes lunettes sur le nez, toujours la même position, toujours la même, parce que c’est celle que tu prends quand tu l’attends depuis que vous êtes ensemble, toujours les jambes écartées juste la place pour qu’il puisse venir s’y loger, pour le sentir tout contre toi. Pull un peu trop grand qui retombe sur ton épaule, laisse apparaître ta clavicule marquée, des marques, marques d’amour, toujours sur ta peau thrace tournant vers le violet délicatement, tête apaisée que tu n’abordes que quand tu lis, roman d’aventures, roman que tu n’as pas écrit mais sur lequel tu as déjà fait des aquarelles. La porte qui s’ouvre, la voix douce, un peu rauque, la voix qui appelle ton prénom et tes mains qui posent le livre à côté de toi, l’humain que tu ne connais que trop bien. Ses bras autour de ton cou, ton corps contre le sien le sourire qui ne quitte pas tes lèvres. Tes jambes qui s’accrochent à ses hanches et le regard joueur, t’es d’humeur taquine aujourd’hui et tu penses qu’il le sait.
« Je n'ai rien fait de particulier, j'suis allé en cours, j’ai fait quelques courses. Oui, j’ai pris des trucs diététiques machin pour toi, des légumes tout le bordel. »
Rire, ta main sur sa joue et le rapide baiser que tu lui voles.
« J’ai rangé un peu l’appartement, j’ai bossé, et je me suis mis à t’attendre. Et toi ? »
Gosse qui redescend d’un étage quand il descend de la table, presque la même taille que lui, un peu plus petit, faut croire que t’as des mauvais gênes, mais c’est toi qui embrasses son cou, niche ta tête un peu plus, laisse encore une marque. Tu ronronnes presque, tu te sens bien, peut-être un peu trop.
'Cause one way or another We always make it you and me.
Si le monde extérieur te paraissait toujours incroyablement agressif et insupportable, entre les murmures que tu entendais sur ton passage, les yeux fixés sur toi ou parfois même les remarques à haute voix, comme si les gens s'imaginaient que tu n'entendais pas, l'appartement lui en revanche était tout l'inverse, le seul endroit où tu te sentais bien, comme une bulle de sûreté, le seul endroit où tu te sentais protégé, en sécurité, et la présence de Yuri n'y était pas pour rien, chaque fois que tu allais dans ses bras, chaque fois que tu croisais son regard, chaque fois qu'il souriait, que tu entendais sa voix, tu étais persuadé qu'il ne pourrait plus jamais rien t'arriver, tu oubliais tout, tu oubliais les traitements, la douleur, la peur, les cicatrices, la pression psychologique, le faux diagnostic, avec lui tu existais, tu vivais, tu étais presque comme tous les autres, à quelques petits détails prêts, quelques petits moments qui te rappelaient que tu avais cette particularité, comme lorsque sans que tu ne demandes rien, il te précisait qu'il avait acheté ce qu'il fallait pour que tu puisses te nourrir, la nourriture équilibrée adaptée à ton régime particulier, et à chaque fois en voyant sa tête quand il en parlait tu ne pouvais pas t'empêcher de rire, de joindre ton rire au sien
« Merci »
Mot chuchoté, tout juste soufflé, avant de l'embrasser à ton tour, simple baiser volé, écoutant sa journée, pendu à ses lèvres comme s'il était en train de te raconter la plus palpitante des histoires, parce que c'était plus fort que toi, il pouvait parler de tout et n'importe quoi, tu restais en admiration devant lui, tu aurais pu passer des heures à juste écouter sa voix, à te laisser bercer, calé dans ses bras. Mais bien vite c'était à toi de répondre, bien vite c'était les rôles inversés, lui qui se collait contre toi, qui nichait sa tête dans ton cou, laissant des marques sur ta peau, marques qui ne passeraient toujours pas inaperçues, qui allaient encore déchaîner les discussions, les potins sur toi dans ta promo, mais à cet instant tu t'en fichais complètement, c'était loin d'être en haut de ta listes des préoccupations, à cet instant tu étais juste bien, lui contre toi, ta main dans ses cheveux, son odeur qui te rassurait, tu aurais voulu que ces moments là durent pour l'éternité.
« Je suis allé en cours, c'était chiant, c'était quasiment que de la théorie et pas de la pratique, après j'ai voulu aller faire des courses aussi, mais en voyant tous les regards sur moi j'ai paniqué et j'ai préféré rentrer »
Haussement d'épaule, éclair de contrariété qui passait sur les traits de ton visage, tu détestais admettre qu'encore une fois tu n'avais pas été capable de faire ce que tu voulais à cause des autres, à cause des regards, des paroles un peu trop envahissantes, tu détestais être incapable de passer au dessus de ça, incapable de te dire que ce n'était pas très important, qu'ils pouvaient bien parler autant qu'ils voulaient, toi, et Yuri, savez ce que tu valais, ce que tu étais vraiment, pas un enfant psychotique, représentant un danger pour lui-même ou pour les autres mais un gamin qu'on avait créé de toute pièce, un gamin qu'on avait forcé dans ce monde, sur qui on s'était constamment servi sans même demander son avis, son consentement, un gamin qui avait voulu s'enfuir, qui avait essayé de s'en sortir et qu'on avait réduit au silence, un enfant qu'on avait trouvé le moyen d'emprisonner, à qui on avait retiré un droit fondamental, la liberté.
Te forçant à sortir de tes pensées un peu trop sombres, tu avais fini par sourire à nouveau, de ce sourire un peu particulier qui te caractérisait, le genre de sourire qui pouvait illuminer une pièce à lui tout seul, que personne ne pouvait manquer, alors qu'il te demandait ce que tu aimerais faire.
« Peu importe tant que je suis avec toi, mais pas un truc qui demande trop d'énergie, ok ? Je suis fatigué »
Il le savait, à se demander pourquoi tu lui disais encore à chaque fois, en trois mois il avait eu le temps de s'habituer, de remarquer à quel point tu étais constamment épuisé, à quel point se lever le matin était une torture pour toi, à quel point tu avais besoin de te reposer dés que tu rentrais, il s'était habitué à te voir t'endormir dans ses bras, à te voir sombrer à peine rentré ou à être même incapable d'émerger le matin parfois, tu ne lui cachais pas, il pouvait voir la vérité, ce que tous les traitements te faisaient, il pouvait voir que si aucune solution ne se présentait, c'est ton corps qui allait lâcher le premier.
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We'd rather just keep dreaming - Yuri
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